Maison Miffant: Superbe rénovation d'un site chargé d'histoire sociale
29 août 2015C'est le spectacle que tous les jours, désormais, les militants qui se rendront à l'Union locale auront de l'autre coté de la rue.
C'est aussi ce spectacle que dégusteront les manifestants des prochains rassemblements et des prochaines manifestations, car la place Louis Vitet est un lieu de rassemblement traditionnel.
- D'abord c'est l'une des rares maison qui survécurent au grand incendie de Dieppe, conséquence de la "Bombarderie", en 1694.
- Mais, ce fut aussi le lieu de la première occupation d'usine de l'histoire, et à ce titre sa rénovation fait chaud au cœur !
En effet, à la suite de la Bombarderie, cette maison et les maisons voisines aujourd'hui disparues, furent réquisitionnée pour assurer la poursuite de l'activité, vitale pour Dieppe, de la manufacture des tabacs. En 1729, les patrons de la Ferme des tabacs voulurent baisser les salaires en supprimant une prime, et les ouvriers se mirent en grève (Et oui, les grèves ne datent pas de la Révolution russe de 1917 !).
N'en déplaise aux havrais qui pensent que la première usine occupée fut l'usine Bréguet du Havre en 1936, à Dieppe on avait expérimenté cette affaire 200 ans auparavant.
Décidant d’employer la manière forte, les patrons de la Ferme des Tabacs s'adressèrent au gouverneur de la place qui décida de faire appel des troupes de la marine royale, et à une compagnie de dragons qui était en garnison à Arques. La volonté était donc de briser la grève par la force (on est au 18e siècle !). On voit que, finalement, peu de choses ont changé en 300 ans en matière de "gestion des ressources humaines".
Lorsque les ouvriers virent arriver les marins, ils commencent à leur jeter des pierres et à fermer la grande porte. « les pierres volaient par les fenestres dru comme mouches », écrit le chroniqueur. Les marins se trouvèrent alors dans une situation difficile. Mais à l’arrivée des dragons sur la place Louis Vitet, qui s'appelait alors place du du Marché aux Veaux, sema l’inquiétude parmi les grévistes. C'étaient des troupes d’élite qui ne faisaient pas de quartier (voir le mot "dragonnades").
Il sonnèrent alors le tocsin, comme s’il y avait un incendie, tout en menaçant de mettre le feu à la maison, « disant qu'ils se laisseraient plutôt périr par le feu que de se rendre ».
M. le Marquis de Manneville, gouverneur, et M. le Comte de la Boissière, lieutenant du Roi, descendirent alors du château, pour résoudre le problème. Mais en arrivant, le gouverneur reçut une pierre sur le plastron. Il en tomba d’autres autour de lui dont une très grosse à ses pieds, « que si elle eût tombé sur sa tête, il aurait été infailliblement été tué » (dit le chroniqueur).
Le chroniqueur Guibert termina son récit comme ceci: « Mais comme il leur parla avec beaucoup de douceur, ainsi que M. de la Boissière, et les femmes des ouvriers qui, montrant leurs enfants qu'elles tenaient dans leurs bras, réussirent à les apaiser, les ouvriers ouvrirent la grande porte et MM. de Manneville et de la Boissière entrèrent, qui continuèrent à leur parler toujours avec égale douceur, finirent par les apaiser entièrement.
L'on en mena seulement une douzaine des plus mutins en prison, au château, qui n'y restèrent que jusqu'au lendemain matin, comme on leur avait promis, lesquels firent chanter un Te Deum à Saint Rémy en action de grâce, n'ayant pas cru être quittes à si bon marché et furent reçus au travail de la Manufacture comme à l'ordinaire comme s'il ne fut rien arrivé »
Lazare Bichot ajouta, dans ses « Mémoires pour servir l’histoire de Dieppe »: « et on leur donna leur gratification ordinaire comme s'il ne fut rien arrivé. »
Plus de 150 ans avant la création des premiers syndicats, les ouvriers dieppois avaient su trouver la forme de lutte adaptée aux conditions du moment. Ils avaient su créer les conditions du rapport de force, qui obligea le Marquis de Manneville — qui représentait tout de même le roi à leur parler « avec beaucoup de douceur », à négocier sur les salaires, et à leur donner satisfaction. C'est une belle leçon que nous donnent ces ouvriers à travers les siècles.
A une époque où l'on pendait facilement les "mutins", une "simple nuit au poste" suivie d'une messe, c'était vraiment peu de chose, dans la mesure où le gouverneur avait failli y perdre la vie, et que l'autorité du Roi Soleil avait été bafouée.
A l'opposé, en juillet 1789, les ouvriers de Darnétal qui avaient brisé des machines à Rouen (à Saint-Sever), autour du 14 jullet, ne s'en tièrent pas aussi bien: l'un d'eux fut pendu ,et sa tête fut exposée sur la porte de Rouen, celle de l'entrée du Pont.