Numerus clausus en médecine : un outil au service de la sélection antisociale, et de l’austérité.
29 nov. 2015Beaucoup d'appelés, peu d'élus. C’est chaque année la même chose avec la publication du numerus clausus dans les différentes filières de la PACES (première année commune aux études de santé) au "Journal officiel", dans environ un mois.
Pour 2014-2015, le nombre de places disponibles à l'issue du concours de fin d'année a été fixé par le gouvernement à 7 497 en médecine (+ 5 places par rapport à 2014), 1.198 en odontologie (– 2), 1.011 en sage-femme (– 5) et 3.097 en pharmacie (– 2). A cause du numérus clausus, le taux d’échec a dépassé les 77 %. « Une boucherie pédagogique », comme l’a qualifié le président de l’université de Paris-V.
Pour le concours 2016, alors que les amphithéâtres de Paces ne désemplissent pas, le numérus clausus va se traduire pour les étudiants, à cette broyeuse de vocations. Pour en échapper, un nombre croissant d’étudiants tentent de le contourner en allant se former à l’étranger. Direction des établissements moins sélectifs et surtout membres de l’Union européenne (mais pas seulement), jusqu’à la fin du second cycle (la sixième année), avant de revenir effectuer leur internat en France. Deux cent quatre-vingt-seize étudiants, sont ainsi rentrés en France pour passer le concours d’internat de fin de sixième année, en hausse de plus de 30 % par rapport à 2014.
À Cluj-Napoca, en Roumanie, où les cours sont en français, près de 500 étudiants de l’Hexagone sont inscrits en médecine, et autant dans d’autres filières de santé, et l’objectif d’un retour au pays pour l’internat.
Mais dans cette affaire, ce sont les étudiants d’origine modeste qui font les frais du numérus clausus. Car aller se former à l’étranger leur est impossible ; ils sont condamnés de par leur origine sociale à passer le concours de fin de première année en France, et essayer de traverser l’entonnoir.
De Lettonie et nouvellement de la Croatie arrivent de futurs médecins, d’Espagne viennent des dentistes. Près de 20 % des sages-femmes nouvellement inscrites à l’ordre ont fait leurs études à l’étranger. Elles viennent souvent de Belgique.
Originellement, le numerus clausus était censé fixer le déploiement de praticiens selon les besoins des populations, limiter une trop vive concurrence qui aurait fait baisser les revenus, et limiter globalement l’accès trop facile des patient au médecin pour réduire les dépenses de santé de la Sécurité sociale.
De fait les délais d’attente pour obtenir des rendez-vous se sont allongés, et des déserts médicaux se sont développés. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dénombre à Paris 798 médecins pour 100 000 habitants, contre 80 dans le département de l’Eure, ils sont 180 pour le même nombre d’habitants. Au Sud, sous une ligne droite imaginaire tracée entre Bordeaux et Valence, les dentistes ne manquent pas (67 à 89 praticiens pour 100 000 habitants, selon un rapport de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé de 2013), mais ils sont deux à quatre fois plus rares en Picardie ou dans la région Centre. Idem pour les sages-femmes dont le nombre est insuffisant en Ile-de-France et dans le Nord-Pas-de-Calais. Dans la région Centre, la situation est même catastrophique.
Aujourd’hui, le numerus clausus sert l’austérité en matière de budget de l’enseignement supérieur. Il sert à limiter le nombre d’étudiants car les capacités de formations sont saturées.
Car faute de moyens pour construire les nécessaires universités et payer leur personnel enseignant et administratif, le numérus clausus est un filtre servant à limiter le nombre d’étudiants, dans le cadre d’une politique de restriction de crédits. C’est l’austérité ! Dans ce cadre étriqué, cela sert malgré tout à maintenir la qualité des formations en fonction du nombre de professeurs.
En quelque sorte, la France opère ainsi une sorte de tour de passe-passe, qui transfère le coût de la formation d’un nombre croissant de ses futurs médecins sur universités étrangères, c'est-à-dire sur les budgets de pays bien moins riches qu’elle.