EDF atomise le travail dans ses centrales
24 juil. 2012Lu dans le Canard Enchainé du 18 juillet 2012
"Les salariés du nucléaire sont au bord de l'explosion. Certains cadres et ingénieurs des centrales EDF travaillent quatorze, voire seize heures d'affilée, alors que la réglementation oblige à un arrêt quotidien de onze heures... L'un d'entre eux, par exemple, n'a pu dormir que trois heures avant de retourner au charbon. Un autre a effectué une semaine continue de soixante-quinze heures. Ce zèle rayonnant met en danger leur santé comme la sécurité des installations.
Autant de conclusions contenues dans un rapport qu'a bouclé, le 19 juin, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) après avoir inspecté 19 centrales. Dans une lettre adressée à EDF, le gendarme du nucléaire résume: « Les infractions relevées par les inspecteurs du Travail de l'ASN mettent en évidence, sur l'ensemble du parc en exploitation, des dépassements, parfois extrêmement importants, des limites des différentes durées réglementaires du travail, et des insuffisances de repos caractérisées. »
Dans la foulée, l'ASN accuse la direction d'EDF de jouer avec la sécurité des riverains. Elle rappelle à dessein les causes de l'explosion de la navette américaine « Challenger » en 1986. Outre un joint défectueux, cause principale de l'accident, « les heures excessives de travail avaient été à l'origine d'une perturbation des performances et d'erreurs décisives lors de situations critiques » ... Un rapprochement des plus rassurants.
L'Autorité de sûreté nucléaire reproche aussi à l'électricien de dissimuler ces dépassements d'horaires. Ils n'apparaissent pas sur les fiches de paie. « Une situation qui pourrait, selon l'ASN, relever du délit de travail illégal » , passible de... 3 ans d'emprisonnement! En centrale?
L'astuce utilisée consiste à établir une double comptabilité horaire. EDF effectue un pointage officiel, baptisé PGI-GTA. Mais le temps de travail est aussi mesuré par un système de badge individuel, destiné à contrôler les accès sur le site, appelé « KKK » (sic!) . Les gendarmes de l'atome ont relevé des écarts explosifs entre les deux systèmes: lorsque le PGI-GTA comptabilise huit heures de travail officielles, le KKK en trouve, lui, plus du double... « Le pointage réalisé par l'employeur ne décompte parfois aucune heure pour des jours pourtant travaillés » , s'indignent les inspecteurs.
Que du « classique » , de l' « habituel » , claironne la direction d'EDF. Pourquoi, alors, avoir tenté de faire obstacle à l'inspection de l'ASN à la centrale de Penly? L'affaire est aujourd'hui devant le parquet de Dieppe, qui a confié une enquête préliminaire à l'Office central de lutte contre le travail illégal. On lui souhaite bon courage pour faire toute la lumière sur les obscures pratiques de l'électricien.
Jérôme Canard"