Xavier Bertrand, l'apprentissage, et l'emploi
28 juil. 2011
Xavier Bertrand met l'apprentissage au service du chômage !
L’apprentissage : depuis 3 siècles il est utilisé contre l’emploi et le pouvoir d’achat !
Le ministre du travail Xavier Bertrand annonce que pour lutter contre le chômage il va augmenter le nombre d’apprentis. Ceux-ci ne seront pas seulement des jeunes sans qualification, mais pourront être des BTS, et même des ingénieurs.
Tous ceux qui travaillent dans les grosses entreprises, comme par exemple à France Telecom, savent que celles-ci utilisent l’apprentissage pour réduire l’emploi pérenne. Quasiment aucun jeune ne se voit proposer d’emploi au terme de sa période d’apprentissage, et de nouveaux apprentis remplacent les précédents, ainsi que les départs en retraite. L’apprentissage ferme donc l’emploi durable aux jeunes, qui se sont pourtant défoncés pendant leur apprentissage.
Mais l’histoire montre que cette affaire d’apprentissage est vieille comme le monde. Il a toujours été utilisé contre l’emploi durable. En 1765 à Dieppe, comme nous le révèlent les archives, il a servi à créer du chômage pour faire baisser les salaires sur le port, au seul bénéfice des armateurs.
En 1765, en effet, un jugement dont on trouve trace en série B des archives départementales de Seine Maritime résonne étonnamment à nos oreilles en cet été 2011.
Nous sommes à cette époque en pleine vague libérale. Le courant encyclopédiste des « physiocrates », partisan du libéralisme économique a le vent en poupe. Ses idées dominent. Diderot écrit à cette époque: « La concurrence fera mieux faire, et diminuera le prix de la main d’œuvre ». Quelques années plus tard, l'un des représentants du courant des physiocrates, Turgot, devenu contrôleur général des finances du royaume, tentera même de supprimer toutes les corporations dont l’existence empêchait la libre concurrence, mais assurait le maintien du niveau des salaires.
Le jugement du Parlement de Rouen de 1765 (Armateurs contre ouvriers charpentiers) oblige à l'accroissement du nombre d'apprentis pour peser sur les salaires.
Lisons les attendus qui éclairent sur les raisons du jugement :
« ... Et pour s'opposer avec plus d'efficacité aux tentatives qui ont esté faites pour la réunion de ces communautés — les 3 corporations de charpentiers de marine, perçeurs, calfateurs sont séparée — ils ont assujettis les apprentissages de chacun des différents corps de métier qui ont voulu réunir sur leur tête deux ou plusieurs des dites professions, à faire deux années d'apprentissage dans chaque corps ce qui emporte six années.
« Ce long espace de temps est plus que suffisant pour dégoutter tout aspirant à la réunion des différentes parties de l'art du charpentier constructeur de navire. Cette classe d'hommes à ce moyen devient très rare, parce que chacun se fixe à un seul métier et ne peut parvenir au-delà. Elle devient fière, insolente et intraitable par le besoin qu'elle sait qu'on a d'elle. Ces ouvriers exigent du marchand armateur tel prix qu'ils jugent à propos pour leur travail. Il n'y a point de bornes à leurs demandes.
« Le commerce de Ville de Dieppe consiste principalement dans les pêches du maquereau, et du hareng. Ces deux pêches ont un temps fixe dans l'année et on y emploie ordinairement 150 bateaux. Comme chaque marchand est obligé de profiter du temps de la pêche, tous à peu près ensemble font travailler au radoub et équipement de leur bateau.
« Alors le nombre des ouvriers des trois espèces n'étant pas suffisant, ils se font valoir, d'autant plus qu'il se rencontre encore des constructions tant pour les deux pêches, que pour celle de la morue et pour d'autres besoins de la navigation. La saison de faire partir les bateaux pour la pêche devenant pressante, on fait venir des ouvriers des ports voisins où les mêmes entraves n'existant pas ils y sont moins rares.
« Mais les ouvriers (…) ne voient qu'avec douleur des ouvriers forains — comprendre "étrangers" — recueillir les fruits qu'ils croient leur appartenir. Ils cherchent à s'en venger lorsqu'ils exercent le droit de visite sur les ouvrages de forains. Il en est des procès, et pour les éviter, ces marchands sont obligés de revenir aux ouvriers de la ville et de leur donner le prix qu'ils veulent exiger.
« Ces inconvénients augmentent considérablement le prix de la construction, et on ne construit presque plus de navires au Port de Dieppe. La réunion des trois corps de ces communautés doit parer à tous ces inconvénients et l'exécution de l'article 1er du titre 9 du livre 2 de l'ordonnance de 1681 mettra les constructeurs et armateurs de navires en état d'être servis comme ils le sont dans d'autres ports où ils jouissent de l'avantage que la loi leur donne.
« Pour remédier encore au petit nombre d'ouvriers que la distinction de profession occasionne, la même ordonnance, article 4 du même titre, aux maîtres du susdit métier de charpentier en général qui pourront occuper deux ou plusieurs apprentis, d'en prendre un de l'hôpital, auquel les directeurs fourniront des outils nourriture et vêtements nécessaires pendant les deux années d'apprentissage.
« Cette injonction à la charge du maître suppose nécessairement aux administrateurs celle de laisser prendre et choisir parmi leurs garçons celui qui sera préféré par le maître et suivant l'article 5 les directeurs sont encore obligés de vêtir et fournir d'outils ce même apprenti pendant la troisième année qui doit être au profit du maître qu'il sert en qualité de compagnon lequel ne lui doit alors que la nourriture et le logement.
« La même ordonnance fournit encore le moyen de remédier au surhaussement du prix de la main d'oeuvre, et c'est la concurrence établie par l'article 7 du même titre qui dit que ceux qui voudront faire radouber des vaisseaux pourront se servir d'ouvriers forains et faire et si bon leur semble visiter l'ouvrage par les jurés du lieu. »
« La concurrence des ouvriers forains opérera en ce genre ce qu'elle a toujours et pour tout opéré, c'est à dire qu'elle remettra le salaire au niveau de l'équité et proportionnellement au prix des besoins de la vie. »
« Ainsi en ajoutant
- => à la réunion des trois corps de métier,
- => l'introduction d'une source d'apprentis, que l'hôpital peut fournir, et
- => la liberté de se servir d'ouvriers forains, ....
.... il est presque certain que l'on remédiera aux maux que l'inexécution de l'ordonnance de 1681, en cette partie, a causés à la pêche et à la navigation de la Ville de Dieppe et qu'il en résultera des avantages réels pour le commerce. »
Comprenons qu’à l’époque le mot commerce veut dire « économie » ou « profit ».
On ne saurait être plus clair et précis. L’objectif essentiel du jugement est que la concurrence entre les ouvriers pèse fortement sur le niveau des salaires. Mais, si en période de forte activité, le nombre d'ouvriers sera désormais plus important, et les armateurs plus libres, en période de faible activité cela créera du chômage parmi les ouvriers charpentiers.
« Ils veulent estre bien payez et petite besogne faire » écrivait avec mépris Rutebeuf, au 16e siècle : le mépris des plus riches vis-à-vis de ceux qui vendent leur force de travail contre un salaire, n’a pas changé.
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire (très loin !) et jusqu’à aujourd’hui, cette question du renforcement et de la pérenisation du chômage s'avère bien être un fil rouge pour ceux qui veulent renforcer l'exploitation du travail humain et la prédation de ses fruits.
Xavier Bertrand n'invente donc rien. Tout entier au service du Medef, il met ses pas dans ceux de ses terribles ancêtres d'avant la Révolution Française, en choisissant en 2011 de créer les conditions d’une nouvelle aggravation du chômage, sous prétexte de le combattre.
N'attendons donc pas qu'une baisse du chômage arrive par ce biais.
Pour en savoir plus lisez cet article du Fil rouge N°24: http://www.ihscgt76.fr/ihscgt76/num24/num24page4.htm