Hollande a-t-il tué les mutuelles ?

La prétendue "généralisation de la complémentaire santé", décidée par François Hollande, a pu apparaître comme un geste en faveur des mutuelles, dont le PS a toujours été proche. En fait, au moment de sa mise en oeuvre, la mutualité a surtout le sentiment, aujourd'hui, d'un « rien ne va plus » désastreux.

Mais c'est un peu tard. Il aurait mieux fallu se rapprocher de la CGT et de lutter tous ensemble.

L'histoire est, à bien des égards, paradoxale.

Le 22 octobre 2012, François Hollande clôturait le congrès de la Mutualité à Nice avec une déclaration en deux temps appelée à faire date.

  • D'un côté il dénonçait le « gâchis financier » que représentent les avantages fiscaux dont bénéficiaient les contrats collectifs de prévoyance.
  • De l'autre, il annonçait une généralisation de la complémentaire santé.

Ce faisant le président de la République faisait semblant de faire plaisir à son vieux complice René Teulade, ancien président de la FNMF, et ancien ministre socialiste des Affaires sociales entre 1992 et 1993.

En fait il lui donnait le « coup de pied de l’âne »

Les mutuelles sont restées l’arme au pied, au lieu d’agir.

A la suite de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la "compétitivité et la sécurisation de l’emploi", signé par les organisations patronales (MEDEF, UPA, CGPME) et trois syndicats de salariés (CFDT, CFTC, CFE-CGC) — accord dénoncé et combattu par la CGT et FOles mutuelles ont sans doute pensé que leur avenir n'était pas menacé; illusion !

Les signataires ont convenu que l’ensemble des salariés devraient avoir accès à une complémentaire santé collective avant le 1er janvier 2016 — mais à minima — et sans que les mutuelles ne soient protégées. La porte était grande ouverte à l’entrée des assurances privées et des banques sur ce nouveau marché; c'est ce qui est en train de se faire, il suffit découter les publicités sur les radios et télévisions.

Cette disposition visait prétendument les salariés des petites et moyennes entreprises dans lesquelles il n’existe pas aujourd’hui de couverture collective. En réalité c'est tous les salairé de toutes les entreprises qui sont aujourd'hui concernés. Et pas moyen d'y échapper: c'est obligatoire.

Le financement de cette couverture devait être partagé à 50/50 entre salariés et employeurs, mais déjà cette situation s’est dégradée pour les salariés, avec la fiscalisation de la participation patronale, qui réduit — de fait — celle-ci.

La FNMF et les mutuelles muettes au moment décisif.

Pendant la période de négociation de cet ANI 2013, puis après sar signature par trois syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC), puis  pendant la discussion de la loi — alors que la CGT et FO tentaient de mobiliser les salariés pour s'y opposer la FNMF et les mutuelles, leurrées par leur proximité avec un pouvoir prétendument « ami », n’a pas su voir — ou voulu voir —, que ce qui était dans le collimateur c’était le modèle français de Sécurité sociale, de complémentaire santé, c'est à dire l’avenir même des mutuelles.

Les mutuelles et leur fédération nationale, la FNMF, auraient pu être un point d’appui fort pour le mouvement social, pour défendre la Sécurité sociale. Avec leurs millions d’adhérents, elles auraient pu peser, dans l’intérêt des salariés. Elles ont laissé faire et ont sabordé leur avenir et celui des mutualistes.

La fin des clauses de désignation: Hollande réalise le rêve des assureurs

Pour être complet, il faut rappeler que le conseiller social de François Hollande n'est autre que l'ancien directeur de cabinet de René Teulade dans le cabinet Bérégovoy.

On lui doit donc le discours de Nice dans lequel il reprend sans grande nuance les critiques contre les contrats collectifs contenues un rapport de la Cour des comptes relatif à l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de 2011.

Le résultat: l'annulation par le Conseil constitutionnel des clauses de désignation qui permettaient de couvrir par un accord de branche étendu, les salariés de petites entreprises qui autrement n'auraient bénéficié d'aucune protection.

Ce dont Denis Kessler, du Medef, et les assureurs rêvaient au début des années 1980, François Hollande le leur a apporté finalement sur un plateau...

Les mutuelles victimes de l’ANI 2013 (signé par la CFDT, la CFTC, et la CFE-CGC)  — et de sa transposition dans la loi — et de la prétendue "complémentaire santé pour tous" !

Les mutuelles vont-elles malgré tout profiter de l'obligation faite aux entreprises de s'équiper en complémentaire santé avant le 1er janvier 2016 ? Au fil des mois et de débats alimentés par les jurisprudences de la Cour de cassation et des avis des meilleurs juristes et exégètes, il apparaît que c'est de moins en moins sûr.

  • D'abord, parce que le poids des habitudes fait que bien des branches et des entreprises et bien des assureurs n'envisagent pas de modifier des liens contractuels qui se sont noués et renforcés au fil des années.
  • Ensuite, d'un point de vue technique, se pose l'épineuse question de la propriété des réserves techniques constituées sur les contrats en cours.
  • Enfin, il n'est pas certain que les transferts de l'individuel au collectif se fassent globalement à l'avantage des mutuelles historiquement peu présentes sur le segment de l'assurance collective.
Les retraités dans la tempête ! Hausses prévisibles des cotisations !

La mise en place des complémentaires santés dans les entreprise se fait sous la forme de « contrats groupes ». Cela fait que les salariés vont être obligés de quitter leur mutuelle, pour entrer de gré ou de force dans le contrat groupe de leur entreprise.

Résultat ? Il ne restera bientôt plus que les retraités, les étudiants, et les chômeurs, dans les mutuelles. Compliqué d'équilibrer les comptes avec une telle population.

C’est donc la fin de la solidarité intergénérationnelle, avec, comme conséquence, l’augmentation rapide et forte des cotisations.

En effet, c’est lorsqu’on est âgé que l’on a le plus besoin de remboursements des dépenses de santé; et il n'y aura bientôt plus, dans les mutuelles, d'adhérents de la tranche des 30-50 ans — génération en général en meilleure santé — (sauf les chômeurs), pour apporter leur contribution à l'équilibre des comptes. Car ils seront isolés, dans le "contrat groupe" de leur entreprise.

Comme le gouvernement poursuit dans une politique de désengagement et de déremboursement de la Sécurité sociale, dans la foulée de ses prédécesseurs, ce sont les complémentaires santés, c'est-à-dire les mutuelles, qui prennent le relai.

Comme il n’y aura bientôt plus de jeunes cotisants dans les mutuelles — ou alors des pauvres, les étudiants et les chômeurs — les retraités vont devoir supporter à plein la charge des remboursements, car la charge des remboursement ne sera plus lissée sur une population large et en meilleure santé.

Et "Quid" des futurs retraités, qui basculeront brutalement à la retraite d'une cotisation minorée, grâce au Contrat groupe, vers une cotisation très allourdie (30% plus chère au moins) du retraité ? 

Regroupements et concentration des mutuelles !

Aujourd’hui, les mutuelles se sont engagées dans un immense mouvement de regroupements qui a fait tomber leur nombre de plus de 6 000 en 1990, à moins de 300 aujourd'hui.

Avec l’ANI 2013 (signé par la CFDT, la CFTC, et la CFE-CGC) et la loi qui s’en est suivie, c’est la fin de l’adhésion individuelle, et du « un homme une voix » pour définir le contenu du panier de remboursements et des cotisations.

D’ailleurs, pour bien contrôler la mécanique en marche les DRH des grandes sociétés privées font leur entrée dans les conseils d’administration des plus grosses d’entre elles (comme ceux d’Orange et de La Poste à la MG).

 

Aujourd’hui les grandes mutuelles perdent leur âme en se rapprochant des Organismes paritaires, avec lesquelles elles fusionnent ou s’apprêtent à le faire.

En effet, de grands ensembles — monopoles — qui n’ont plus rien de mutualiste, sont en train se constituer, tels celui résultant du regroupement de la Mgen et d'Harmonie mutuelle, qui ont officialisé en janvier dernier leur rapprochement, ou celui de la MG avec Malakoff-Médéric (voté ce weekend).

Avec à la clé une question posée : la création deux organismes concurrents d’une telle puissance ne condamne-t-elle pas à mort la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) ?

Bientôt à la FNMF, comme si le président d'Axa présidait la fédération des sociétés d'assurance

À la veille du congrès de la Mutualité à Nantes (11 au 13 juin) Étienne Caniard, l'actuel président de la FNMF a tiré quant à lui toutes les conséquences de cette situation.

Ayant prévenu de longue date qu'il ne se représenterait pas pour un second mandat et sachant que Thierry Beaudet, président de la MGEN est le mieux placé pour lui succéder, il a demandé il y a quelques semaines à son conseil d'administration une modification du règlement intérieur autorisant le président d'une grande mutuelle à le rester tout en devant président de la fédération.

Une solution qui passe évidement mal auprès de certains mutualistes qui considèrent que ce serait le mastodonte MGEN-Harmony-Mutuelle qui mettrait ainsi la main sur la fédération, au risque de ne défendre que ses intérêts, alors que la FNMF leur coûte cher pour pas grand chose.

Ils se demandent ce que l’on diraitsi le président d'AXA était devenu le président de la Fédération Française des Sociétés d'Assurance (FFSA).

Une machine de guerre en marche contre la Sécurité sociale !

Mais ces jeux d'appareils ne doivent pas faire oublier l'essentiel, à savoir comment survivre sur un désormais « marché » qui a été déstabilisé par le législateur ? De fait :

  • > les contrats responsables,
  • > l'aide à la complémentaire santé (ACS),
  • > la remise en cause des clauses de désignation,
  • > le tiers payant généralisé,
  • > la mise en œuvre de la déclaration sociale nominative (DSN),
  • > les règles de solvabilité 2
  • > et toutes les contraintes financières qui pèsent sur la Sécurité sociale, obligée de marcher au pas européen.
D’autant plus que la création d’un 3e niveau de complémentaire santé — pour compenser le choix de plafonnement des remboursements à 50%, et donc la diminution des remboursements du 2e niveau actuel, dans le cadre de l’ANI — est réservé aux assurances.

De fait, Oui ! Hollande a non seulement tué les mutuelles, mais aussi porté un grave coup à la Sécurité sociale, avec la bénédiction de la CFDT, de la CFTC, et de la CFE-CGC.

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